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Bordeaux, meuf rebelle depuis toujours

Le Bordelais, ce rebelle à l’histoire agitée… Si l’on affuble Bordeaux d’une réputation bourgeoise et un peu plan-plan, force est de constater deux choses :

  • l’histoire nous prouve que de tout l’hexagone, le burdi-gaulois a toujours été un tantinet casse-bonbons.
  • le surnom de Belle Endormie ne convient plus du tout à la capitale néo-aquitaine, qui grouille de projets et bouleverse les codes depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Viens, on va te conter l’histoire de Bordeaux, la nièce rebelle de l’Atlantique, tatouée de toutes parts de son histoire agitée…

Les premiers Bordelais

Ou devrions-nous dire, les « Burdigaulois » ? C’est au IIIe s avant J.C. que remontent les premières traces d’une vie « organisée » dans celle que nous appelons aujourd’hui Bordeaux. Les Bituriges Vivisques, peuple celte, s’installent en ce lieu qu’ils trouvent fort accueillant. Dans l’onguent de ses eaux abondantes, mais aussi encerclée par des marais un peu plus hostiles, la ville est baptisée Burdigala : si l’origine basque du sobriquet fait l’unanimité, 2 sens s’opposent quant à la signification. « burd » et « gala » pourraient signifier « à l’abri des marais » (les fameux), mais « burdi » désigne également le « fer », et l’activité forgeronne semblait prospère au moment de l’installation.

Pendant ce temps, les premiers pieds de vignes sont plantés. To be continued…

 

Le Castrum romain

Le Palais Gallien – F.Poincet

Burdigala commence le 1er millénaire sous domination romaine, mais s’en suivent 4 siècles de prospérité. Elle est en plein développement, forte de premiers échanges commerciaux : la douceur de la vie bordelaise que nous connaissons est en pleins babillages, et l’on commence à apprécier le sang de cette vigne plantée plus tôt. Et même : on l’exporte. A l’époque, le castrum romain (équivalent du vieux Bordeaux aujourd’hui, quartier Saint-Pierre et alentours) compte 20 000 habitants. Le temps a tari les souvenirs de cette période antique, vous pourrez toutefois observer quartier Saint-Seurin les ruines du Palais Gallien (ancien amphithéâtre ), des vestiges des Piliers de Tutelle Place Camille Julian, et vous faire une belle idée de l’époque au Musée d’Aquitaine, véritable mémoire de Bordeaux. A la fin du IIIe s, de premières enceintes replient cependant Burdigala sur elle-même : il faut dire que cette Garonne généreuse pour le commerce l’était aussi pour les potentielles intrusions.

Pendant ce temps, le poète Ausone fait des vers de Bordeaux Burdigala dans ses poèmes…

 

Moyen-Age et Christianisation

La chute de l’empire romain est suivie d’une période trouble pour Burdigala, entre invasions et détroussages : son port perd pour un temps de sa superbe. L’émergence du Christianisme va peu à peu modifier le visage de la ville. Les édifices religieux organisent de nouveaux faubourgs, qui donneront naissance aux quartiers actuels (Saint Eloi, Saint Pierre, Saint Michel, etc). Quartier Saint Paul, un second rempart s’élève, tandis que bientôt la ville va prendre l’accent anglais.

Pendant ce temps-là, la Cathédrale Saint-André, loin d’être finie, est consacrée par le pape Urbain II.

 

Aliénor d’Aquitaine et Bordeaux à l’anglaise

Aliénor aurait pu être malaimée des Bordelais, puisque c’est par elle que la ville tombe dans les mains du royaume d’Angleterre. Mais il n’en est rien, probablement pour deux raisons : sa légende de femme libre et rebelle l’ont rendue particulièrement sympathique à nos yeux (le Bordelais aime les esprits insoumis, vous l’apprendrez au fil de ce blog), et l’ère de domination anglaise fut finalement très prospère pour la cité qui connait son second âge d’or. Quand son père Guillaume X d’Aquitaine trépasse en 1137, la très jeune fille hérite d’un beau domaine qui s’étend sur une zone ressemblant presque au territoire de l’actuelle Nouvelle Aquitaine. A 15 ans, elle se marie avec le roi Louis VII, mais les historiens s’entendent à trouver le couple plutôt bancal : le roi est austère, d’aucun diraient tristounet, Aliénor est à la fois belle et charismatique. Au bout de 10 ans de lit commun, elle n’a toujours pas donné ce fameux héritier que les rois tendent en épée de Damoclès au-dessus des têtes des reines, et comme il ne pouvait en être autrement que de la faute de la belle Aliénor, celle-ci est répudiée. Ironie pour le triste sire : Aliénor donnera à son prochain époux 7 enfants dont les fameux « mâles » attendus par son ex. Car, drame pour les Capétiens : libre et son beau territoire en poche, la Bordelaise épouse en secondes noces Henri II Plantagenêt, et sa « dot » passe sous domination anglaise. On ne peut toutefois parler de drame pour les Bordelais. Le commerce par voie maritime, dont celui du vin, reprend de plus belle avec les anglais pas avares en exports, et la ville, devenue capitale de Guyenne, dore encore un peu plus son blason. Il n’était pas dans l’intérêt des occupants de cultiver le désamour de ces lointains occupés. Côté libertés, les habitants jouissent de relatifs droits civiques avec l’instauration des Jurats (les maires de la ville, installés à la Grosse Cloche). La rumeur raconte même que ce sont les anglais qui inventèrent le terme de « chocolatine » (« chocolate in bread »), mais la légende est totalement anachronique, la Guyenne n’a pas encore la chance de connaitre le chocolat en barre à l’époque.

Pendant ce temps-là, un Bordelais va devenir un peu plus célèbre que les autres en accédant au statut prestigieux de pape : Clément V. Et oui, le pape Clément, comme le vin que l’on ne boit qu’une fois dans sa vie.

 

La Bataille de Castillon et le retour de Bordeaux à la France

On ne vous refait pas le cours d’histoire : la guerre de Cent Ans s’achève non loin de Bordeaux, par la bataille de Castillon en 1453. Le conflit entre la France et l’Angleterre qui se disputent la couronne dure depuis des dizaines d’années, et Bordeaux a notamment tremblé sous les ordres de l’un des fils du roi d’Angleterre, le terrifiant « Prince Noir » (dont vous pouvez encore visiter le château à Lormont). Redevenue français, les Bordelais ne pourront toutefois pas se considérer plus libres pour autant : méfiant vis-à-vis de cette population jugée insoumise (le souvenir d’Aliénor aurait-il laissé des traces ?), le roi fait construire plusieurs fortifications militaires au sein de la ville qui compte à présent plus de 30 000 habitants : ainsi naissent le Fort du Hâ et le Château Trompette. L’un est toujours debout, l’autre est comme le Prince Noir : désormais un fantôme qui fait peur aux enfants.

Le renforcement des impôts n’aidera pas les Bordelais à s’adoucir : au XVIes, tandis que la taxe de la gabelle s’étend sur le territoire, ces derniers se révoltent. Le roi écrase l’insurrection dans le sang et fait perdre ses privilèges à la ville. Pire encore : il va jusqu’à faire emprisonner au fort du Hâ celle qui est leur plus vif symbole de liberté, leur grosse cloche chérie !

Pendant ce temps, à Orléans, un certain Etienne de La Boétie est choqué par ces temps troubles pour le peuple, et écrit son « Discours de la Servitude Volontaire », inspirée de cette « Jacquerie des Pitauds ». Il a tout juste 18 ans.

 

Montaigne et la Boétie : la plus belle histoire d’amitié de la littérature est bordelaise

 

Au Parlement de Guyenne, qui se trouvait sur l’actuelle place du Palais, un célèbre Bordelais découvre le texte de la Boétie et devient son plus grand fan : Montaigne. Cela tombe plutôt bien : la Boétie intègre lui-aussi le Parlement de Bordeaux quelques années plus tard. S’en suit une extraordinaire histoire d’amitié, aussi courte qu’intense puisque le jeune Etienne poussera son dernier souffle dans le Médoc à 33 ans seulement. Inconsolable, Montaigne rend hommage à ce lien fort qui les unissait dans un passage de ses « Essais » : « et si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » » (De l’Amitié).

Pendant ce temps-là, les guerres de religion embrasent la France. A la fin du XVIes, Montaigne devient maire de Bordeaux (1581).

 

17: Bordeaux Classique, entre grandeur et commerce triangulaire.

Source : Musée d’Aquitaine

Peu à peu, l’autorité s’adoucit, et dans un même temps Bordeaux va retrouver son prestige maritime, devenant même le 2e port d’Europe et premier port de France. Le commerce du vin est encore une fois fructueux pour la ville, et Colbert lui offre un bel atout en lui donnant le monopole sur le commerce vers les Antilles. Épices, tissus, mais aussi période sombre où Bordeaux va prendre part au commerce triangulaire. De ses liens anciens avec l’esclavage, quelques traces subsistent : des mascarons représentants des visages antillais place de la Bourse et la représentation d’esclaves enchainés sur le plafond du Grand Théâtre.

Pendant ce temps, Vauban est à pied d’œuvre pour construire la Citadelle de Blaye. Bordeaux, quant à elle, est à la veille de son embellissement.

 

18e : le coup de crayon des Intendants

Le vent de l’atlantique est concurrencé par celui de la modernité et Bordeaux va prendre peu à peu le visage que nous lui connaissons. Le plus « Unesco-friendly ». Le pouvoir royal, depuis Paris, se fait moins oppressif, il s’agit pour les Louis se succédant de pousser à la grandeur cette province portuaire dont le potentiel saute aux yeux. Pour cela, délégation est donnée aux Intendants. Vous souvent parler (au moins dans l’odonymie) de Boucher et Tourny. Sous les ordres des deux plus grands urbanistes de Guyenne, les architectes font quitter le Moyen-Age à la ville. Les remparts tombent, le fleuve ne doit définitivement plus faire peur, et les Bordelais qui lui tournaient le dos par crainte des invasions vont soudain toiser ce fleuve chocolat d’un autre œil. L’essor du commerce maritime avait déjà bien aidé à cela. Une immense place royale (actuelle Place de la Bourse) est commandée à Boucher pour impressionner les étrangers arrivant par les eaux, et accueillir l’équestre du roi (remplacé par les 3 filles de Zeus en tenue d’Eve depuis): l’architecte du roi, Gabriel, va dessiner ce qui est encore aujourd’hui l’un des plus beaux atours de la ville. Les Intendants aèrent le centre : le Palais de l’Ombrière est rasé, de vastes cours sont percés, des places (Bir Hakeim, Gambetta, Victoire, etc.) et le Jardin Public le font respirer, les ruelles boueuses sont pavées, le bâti est aligné (comme rue Sainte-Catherine), des portes en forme d’arcs de triomphe sont érigées en entrée majestueuse dans la ville, tandis que seules deux vieilles portes médiévales demeurent : la Grosse Cloche (impossible de faire tomber ce symbole, figurant sur le blason de la ville) et la Porte Cailhau (ses motifs royaux en façade intimidèrent peut-être Tourny). Si le château Trompette occupe toujours l’actuelle place des Quinconces, le roi semble finalement s’être entiché de ces rebelles de Bordelais, puisque les militaires le quittent peu à peu, en même temps qu’il en cède progressivement les glacis. Ainsi naitront les allées de Tourny ou encore l’îlot Louis et les entrepôts Lainé.

Pendant ce temps-là, Athalie de Racine est jouée pour l’inauguration de l’un des bijoux de la ville, le Grand Théâtre.

 

Les Girondins et la Révolution

La Révolution Française bouleverse en tous points de la France l’odonymie et le minois de ses villes, alors organisées en faubourgs autour d’églises et de couvents. En témoigne à Bordeaux le quartier des Grands Hommes. Bordeaux est encore une fois la fille singulière du pays, avec ses tristement célèbres Girondins. Si les Jacobins l’emportent sur les idéaux de ces derniers, dont 29 députés seront guillotinés, les Bordelais ne manqueront pas de rendre hommage aux perdants en érigeant un monument à leur mémoire sur l’actuelle place des Quinconces. Le destin fera à plusieurs reprises de Bordeaux le cœur battant d’une politique chancelante dans le pays, lorsque le pouvoir devra fuir la capitale face à l’ennemi : en 1870 ou encore durant la Seconde Guerre Mondiale.

19e , les Temps modernes

P.Lacour – commerce sur le port de Bordeaux

Les Romantiques seront fort inspirés par ce Bordeaux où se croisent dans les salons « branchés » de la rue du palais Gallien Vigny et la poétesse Marceline Desbordes-Valmore. Cette dernière décrira sa parenthèse bordelaise comme l’une des plus douces de sa vie, depuis son « balcon aux mille pas » cours de l’Intendance (juste au dessus du Quick aujourd’hui…beaucoup moins onirique…) d’où elle pouvait saluer de la main son célèbre voisin, Goya. Et la ville, toujours, de se transformer, rasant les vieilles façades pour rationaliser le bâti du centre qui accueille plus de 60 000 âmes. Trompette a fait long feu, place aux Quinconces. Barrières et boulevards se dessinent, et Napoléon va permettre l’expansion rive droite en faisant construire le Pont de Pierre en 1821. Sur les quais, le commerce du vin bat toujours la mesure : les barriques roulent quartier des Chartrons, les hangars s’étendent, la vie ouvrière est bouillonnante à Bacalan et aux Bassins à Flot, les négociants en vin construisent de riches demeures et ont l’accent étranger. Le chemin de fer va contribuer à l’essor de la ville. Il amènera également la bourgeoisie bordelaise sur le Bassin d’Arcachon pour se refaire une santé.

Pendant ce temps-là, de passage à Bordeaux en 1843, Victor Hugo lui trouve le visage d’un Versailles (pour sa modernité) mâtiné à Anvers (pour son histoire préservée, même s’il s’étonne que certains monuments eut été rasés). L’histoire emporte cependant avec elle un an plus tard le combat d’une autre rebelle chère à Bordeaux : la militante féministe Flora Tristan  s’éteint ici à seulement 41 ans.

XXe : l’explosion démographique

La population « champignonne » et pousse à la construction de nouveaux quartiers. Art déco et Art Nouveau viennent chatouiller le classicisme passé, et l’architecte Jacques D’Welles va notamment apposer sa patte sur ce début de siècle. La Seconde Guerre Mondiale laisse des traces et certains traumatismes, Bordeaux a bien failli perdre les chevaux de sa fontaine aux Girondins et le Fort du Hâ fit trembler les Résistants. La seconde moitié du siècle voit les pages se tourner à la vitesse du TGV qui relie bientôt Bordeaux à Paris. 2 maires seront ceux de la réhabilitation, notamment du Bordeaux maritime qui a migré plus loin vers l’estuaire, laissant orphelins hangars et quartiers ouvriers : Jacques Chaban-Delmas (maire de 1947 à 1995) et Alain Juppé, toujours propriétaire des clés de la capitale aquitaine. Le premier sera à l’origine d’un projet urbaniste futuriste à Mériadeck, et du développement du campus étudiant en dehors du centre. Son bilan est injustement mitigé : on qualifie Bordeaux de « Belle endormie », somnolant sur ses lauriers. La rebelle attitude n’a pourtant jamais quitté ses enceintes, comme avec le CAPC dans les années 70. Alain Juppé dépose un baiser sur le front de la belle et ouvre les portes du XXie siècle, à grands coups de tramway et de rénovation des quais, à nouveau « rendus aux Bordelais ». La population dépasse les 200 000 habitants, riche de différentes vagues d’immigration qui ont étoffé son bagage culturel.

Pendant ce temps, Pascal Obispo est « tombé pour elle » : ou plutôt lui, le Bassin d’Arcachon qui inspira quelques décennies auparavant des Cocteau ou encore des Manet. Joe Dassin, lui, chante « le bon vin de Saint-Emilion ».

xx

XXIe, Bordeaux sur le podium du monde

Si les heures de gloire du commerce maritime ont fait place à une navigation de plaisance, voici à nouveau Bordeaux au centre de l’attention, et la vigne plantée au IIIes a fait un beau chemin : quartier Bacalan s’érige la Cité du Vin, comme un hommage aux siècles passés mais tournée vers le monde. De nouveaux ponts relient les deux rives qui rivalisent de projets alternatifs, tel Darwin sur la droite. Le « Bordeaux Nouveau » fera cependant toujours révérence à son héritage classique : la Place de la Bourse joue les Narcisse dans un Miroir d’Eau futuriste et l’image devient l’une des plus emblématiques de la ville, distinguée par l’UNESCO en 2007. Bacalan, Bastide et Belcier (avec le projet Euratlantique) sont les 3 quartiers en pleine mutation désormais, et d’ici quelques années (voir mois) leur visage ne sera plus celui que nous connaissons. Comme la LGV qui place Bordeaux à 2h de Paris désormais, tout va si vite…. Heureusement, certaines choses ne changent pas : entre scène rock, art contemporain et urbain, le Bordelais n’a pas quitté son esprit rebelle. C’est peut être ça le moteur insolent de l’une des plus belles villes de France.

Et pendant ce temps-là, vous comme nous faisons de chacune de nos expériences un Bordeaux réinventé, tous les jours, toutes les heures… Restons rebelles : « Bordeaux mérite bien une fesse »… oups, un Derrière 😉

One Response to Bordeaux, meuf rebelle depuis toujours

  1. Chouette blog, chouette idée, chouette concept ! Hâte de voir la suite ! Welcome dans la bordelo blogosphère Le Derrière 🙂

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